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IA x Formation : entre révolution et défi

Jérôme Gabillaud & Olivier Piers · ENI

 

À l’aube d’une nouvelle ère éducative, l’intelligence artificielle (IA) prend une place prépondérante dans l’enseignement et la formation. Elle est au cœur des préoccupations des enseignants, formateurs, élèves, apprenants et décideurs. Entre émerveillement technologique et appréhensions légitimes, l’IA offre des perspectives novatrices tout en posant des défis inédits. Avant de définir précisément son rôle, il est essentiel de démystifier cette technologie pour en saisir les enjeux profonds. Embarquez avec nous dans cette exploration de l’IA et de son potentiel révolutionnaire dans le monde de la formation.

 

 

Vraiment intelligent ?

 

Lorsque nous parlons d’IA, une dichotomie émerge : la fascination pour les prouesses technologiques face à la crainte d’un remplacement de l’homme par la machine.

 

À l’origine du terme « intelligence artificielle », se trouve une quête de mimétisme de l’intelligence humaine. En effet, c’est lors d’une conférence historique à Dartmouth College en 1956, orchestrée par des figures comme John McCarthy et Marvin Minsky, que ce terme a été formellement introduit pour signifier la capacité d’une machine à reproduire des compétences cognitives humaines.

 

Cependant, la nuance linguistique entre « IA » en français et « AI » en anglais est révélatrice. Le philosophe Klein l’évoque : là où « AI » évoque principalement le traitement de données, « IA » englobe une dimension introspective, presque consciente. Yann Le Cun, éminent chercheur en la matière, précise : « Les machines peuvent être intelligentes. Elles ont le potentiel de devenir intelligentes. Pour l’instant, on n’a pas la technologie disponible pour rendre les machines aussi intelligentes que même un animal de compagnie, comme un chat ou un chien, donc a fortiori un humain. Mais par contre on a des technologies qui permettent aux machines d’effectuer des tâches que normalement on attribue aux humains intelligents, avec des performances supérieures. » Ainsi, plutôt que de parler d’intelligence « artificielle », serait-il plus judicieux d’évoquer une « intelligence algorithmique », celle d’un algorithme qui apprend, se perfectionne, mais demeure intrinsèquement une réplique, s’enrichissant constamment de nos données ?

 

Si cet « animal de compagnie algorithmique » n’égale pas encore l’intelligence d’un chat ou d’un chien, comment redessine-t-elle déjà les contours du monde de l’éducation et de la formation ?

 

 

Interdire la « calculatrice des mots » ?

 

L’avènement de l’intelligence artificielle bouscule les conventions dans les mondes de l’éducation et de la formation, générant des débats passionnés. Certains établissements éducatifs envisagent déjà de bannir des outils tels que ChatGPT. Est-ce judicieux ? Doit-on reléguer ChatGPT au rang de simple « calculatrice des mots » ?

 

Sam Altman, PDG d’OpenAI, a souhaité mettre en avant l’impact transformateur de l’IA dans l’éducation. Selon lui, ces outils seraient comparables à une calculatrice, mais pour les mots. « Nous avons désormais un nouvel outil pour l’éducation », affirme-t-il. Et compte tenu des capacités impressionnantes de ChatGPT en termes de rédaction, de résolution et de traduction, Altman envisage une refonte profonde des méthodes d’enseignement et d’évaluation, anticipant que « les devoirs à la maison ne seront probablement plus jamais les mêmes ».

 

Une vision également partagée par des visionnaires tels que Bill Gates, qui voit dans l’IA un mentor personnalisé pour chaque apprenant.

 

La question à se poser est pertinente pour tout le spectre des apprenants, qu’il s’agisse de jeunes étudiants en informatique ou d’informaticiens chevronnés en quête de perfectionnement : pouvons-nous, en toute conscience, ignorer l’IA dans nos
cursus et formations ? Cela serait aussi déconcertant que de former de futurs médecins sans les sensibiliser aux dernières avancées en imagerie médicale ou en génomique. Pour les étudiants, manquer l’apprentissage de l’IA serait comme s’engager dans une course avec un handicap initial. Pour les professionnels en activité, ne pas intégrer l’IA à leur ensemble de compétences reviendrait à ignorer un outil puissant capable d’optimiser, de simplifier, voire de révolutionner leur travail quotidien. L’IA n’est plus une option ; elle est en train de devenir un fondamental incontournable dans un domaine comme l’informatique.

 

Face à cette révolution technologique, en tant qu’éducateurs et formateurs, nous avons le devoir de nous familiariser avec ces outils, tout comme nous l’avons fait par le passé avec l’avènement de la calculatrice. Non pour les craindre, mais pour en comprendre le potentiel, les avantages et les limites Et ainsi réfléchir à une intégration judicieuse dans nos méthodes pédagogiques.

 

 

Et si nous détections l’utilisation de ces fameuses calculatrices ?

 

La tentation est bien réelle pour les apprenants d’utiliser cette « miraculeuse calculatrice des mots ». Face à cette réalité, le monde éducatif et professionnel aspire naturellement à détecter son utilisation. Cette aspiration pourrait s’avérer être un doux rêve…

 

« Classifier », une initiative d’OpenAI, illustre bien ce défi. Conçu pour différencier les textes rédigés par des humains de ceux générés par des IA, « Classifier » était perçu comme la bouée de sauvetage des enseignants. Il devait permettre de déceler si une dissertation, par exemple, avait été rédigée par ChatGPT. Or, l’outil s’est montré moins fiable qu’espéré, confondant parfois des œuvres classiques avec celles produites par l’IA. De plus, il a été critiqué pour ses alertes erronées concernant des travaux d’étudiants authentiques. Face à ces erreurs, OpenAI a décidé de « classer sans suite » le projet « Classifier ».

 

Dans un milieu académique et professionnel où le plagiat est sévèrement sanctionné, un seul faux positif peut ruiner une carrière. « L’abandon de « Classifier » soulève d’importantes interrogations sur l’adaptation de notre monde à l’ère de l’IA.

 

Mais prenons du recul. Souvenons-nous des classes de mathématiques où la résolution d’un problème ne se limitait pas à la réponse, mais englobait le processus employé pour y arriver. Adoptons une approche similaire avec ChatGPT et les IA : plutôt que de se concentrer uniquement sur la détection de l’utilisation, interrogeons-nous sur le « comment » et le « pourquoi » de l’emploi de l’IA par l’apprenant ou le professionnel dans son processus de raisonnement.

 

 

L’IA et l’esprit critique : discerner le réel de l’hallucination

 

Tout comme Internet a radicalement transformé notre accès à l’information, l’IA, notamment des outils tels que ChatGPT, modifie profondément la manière dont nous produisons et interagissons avec le contenu. Cependant, de la même manière que toutes les informations trouvées sur le web ne sont pas fiables, chaque réponse générée par l’IA n’est pas nécessairement exacte ou pertinente. En effet, l’IA peut « halluciner » – produire des informations qui, bien que semblant plausibles en apparence, s’avèrent inexactes ou complètement erronées.

 

Il est donc essentiel que les humains acquièrent non seulement la capacité d’utiliser ces outils, mais également une pensée critique pour évaluer leurs résultats. Tout comme nous enseignons la littératie numérique pour identifier les fake news ou les contenus trompeurs en ligne, il est crucial d’introduire une « littératie IA », permettant de comprendre et de critiquer les informations fournies par ces systèmes.

 

L’une des clés de cette littératie IA est la maîtrise de l’art de la formulation. La qualité d’une question détermine celle de la réponse. Interagir avec une IA, c’est essentiellement savoir poser les bonnes questions et les contextualiser avec précision. On parle ici de l’art du « prompt ». L’interaction avec l’IA ne se limite pas à ses réponses, mais aussi à la capacité d’orienter cette IA vers la réponse désirée grâce à une formulation adéquate.

 

L’école et la formation ont pour mission non seulement de transmettre des compétences techniques, mais surtout de former des esprits critiques. Pour ce faire, avec ou sans l’appui de l’IA, un socle solide de compétences fondamentales est indispensable. Tout comme un algorithme ne peut être efficace sans données de qualité, un esprit ne peut être critique sans une éducation ou formation de qualité. La technologie peut servir de catalyseur, mais elle ne saurait remplacer les bases essentielles de l’apprentissage.

 

 

Le yin et le yang de l’IA dans la pédagogie

 

La pédagogie est un art délicat basé sur l’équilibre. À l’image du yin et du yang, symbolisant la dualité et l’interdépendance des forces contraires, l’incorporation de l’IA dans la pédagogie reflète cette harmonie. Bien utilisée, l’IA peut métamorphoser l’apprentissage. Cependant, si elle est mal appliquée ou mal interprétée, elle pourrait être source de confusion.

 

Pédagogie renforcée par l’IA

 

Le tuteur adaptatif : Au centre de cette transformation, l’IA se positionne comme un tuteur sur-mesure pour l’apprenant, ajustant l’information selon les besoins spécifiques et comblant les lacunes par une approche personnalisée.

 

Un monde d’opportunités : Plus qu’une évolution, l’IA redéfinit l’apprentissage traditionnel. Des outils innovants comme les extensions pour ChatGPT4 (ScholarAI, AskYourPDF, Wolfram…) rendent l’apprentissage plus fluide et instinctif. Avec les
avancées en informatique quantique, nous ne sommes qu’aux prémices pour le meilleur et le plus révolutionnaire à venir.

 

Le rôle de l’enseignant et du formateur à l’ère de l’IA

 

Veiller et guider : La place de l’enseignant et du formateur restent primordiales. L’IA, malgré ses prouesses, ne saurait égaler l’expertise, la compassion et la sagacité d’un éducateur. C’est lui qui humanise l’information, la met en contexte et assure sa pertinence. Face à cette révolution numérique, il demeure le garant de la qualité et de l’intégrité éducative et formatrice.

 

En conjuguant tradition et modernité, humanité et technologie, la pédagogie à l’ère de l’IA est une symbiose entre le yin et le yang. Si l’IA dévoile un éventail d’opportunités presque sans fin, il appartient aux enseignants, formateurs, élèves et apprenants de garantir son utilisation judicieuse. Le futur est prometteur, mais il nécessite discernement et vision. L’avenir éducatif et de la formation est entre nos mains : sculptons-le avec sagesse.

 

 

Conclusion : IA x Formation

 

Luc Julia, dans son approche des technologies, utilise fréquemment l’analogie du marteau pour symboliser un outil fondamental. Il insiste sur le fait que c’est l’être humain qui manie cet outil, lui donnant à la fois direction et intention. De manière analogue, dans le cadre de la formation augmentée par l’IA, le clavier pourrait être considéré comme notre marteau contemporain. Chaque touche, chaque programme, chaque algorithme a un potentiel immense. Mais, c’est invariablement la main de l’homme qui dicte son emploi, qui choisit quand presser une touche ou s’abstenir.

 

L’intégration de l’IA en éducation et en formation professionnelle révèle une symbiose fascinante entre l’ingéniosité humaine (IH) et l’intelligence artificielle (IA). L’IH commande le tempo, tandis que l’IA offre les nuances et les compétences. Néanmoins, à l’instar d’une mélodie qui peut sonner faux si mal interprétée, le mariage de l’IA et de la pédagogie exige à la fois discernement et intégrité.

 

Il est essentiel de se rappeler qu’au cœur de chaque innovation technologique se trouve l’esprit humain, porteur d’ambitions, de principes et de valeurs, mais aussi susceptible de détourner ces innovations pour des profits personnels. Le futur de l’éducation et de la formation est à la croisée de l’IH et de l’IA, une harmonie entre la technologie avancée et le respect de la nature humaine.

 

Comme le disait Socrate, « Je sais que je ne sais rien ». Face à ce vaste champ des possibles, notre force réside dans notre conscience de notre propre ignorance. Conservons cette humilité socratique, permettant à l’IH de diriger l’IA, façonnant ainsi l’éducation et la formation de demain qui valorisent autant l’individu que la technologie.

 

 

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